
L’IRIS SAUVAGE
Au bout de ma douleur
il y avait une porte.
Écoute-moi bien : ce que tu appelles la mort,
je m’en souviens.
En haut, des bruits, le bruissement des branches de pin.
Puis plus rien. Le soleil pâle
vacilla sur la surface sèche.
C’est une chose terrible que de survivre
comme conscience
enterrée dans la terre sombre.
Puis ce fut terminé : ce que tu crains, être
une âme et incapable
de parler prenant brutalement fin, la terre raide
pliant un peu. Et ce que je crus être
des oiseaux sautillant dans les petits arbustes.
Toi qui ne te souviens pas
du passage depuis l’autre monde
je te dis que je pouvais de nouveau parler : tout ce qui
revient de l’oubli revient
pour trouver une voix :
du centre de ma vie surgit
une grande fontaine, ombres
bleu foncé sur eau marine azurée.
MATINES
Je vois qu’il en va avec toi comme avec les bouleaux :
je ne te parlerai pas
personnellement. Beaucoup
de choses se sont passées entre nous. Ou
était-ce seulement
de mon côté ? Je suis
fautif, fautif, je t’ai demandé
d’être humain – je ne suis pas plus demandeur
d’affection que d’autres. Mais l’absence
de tout sentiment, de la moindre
préoccupation à mon égard – je pourrais aussi bien continuer
de m’adresser aux bouleaux,
comme dans une autre vie : laisse-les
faire le pire, laisse-les
m’enterrer avec les romantiques,
leurs feuilles d’or acérées
me recouvrant dans leur chute.
CHANT
Comme un cœur protégé,
la fleur
rouge sang
de la rose sauvage commence
à éclore à la branche la plus basse,
soutenue par la masse
nidifiée d’un gros buisson :
elle fleurit sur l’ombre,
toile de fond
perpétuelle du cœur,
alors que les fleurs
plus en hauteur se sont flétries ou ont moisi ;
pour survivre,
l’adversité
approfondit simplement
sa couleur. Mais John
n’est pas d’accord : il pense que
si ce n’était pas un poème mais
un vrai jardin, alors
la rose rouge ne devrait
pouvoir ressembler à
rien d’autre, ni à
une autre fleur, ni à
un cœur ombragé dont
le pouls bat, au niveau du sol,
tantôt bordeaux, tantôt cramoisi.
L’iris sauvage
Louise Glück, Traduit et présenté par Marie Olivier
Dans Poésie 2014/3-4 (N° 149-150), pages 46 à 53